Recensione a cura di Florence Alazard
KATE VAN ORDEN, Music, Discipline and Arms in Early Modern France, Chicago-London, The University of Chicago Press, 2005, 322 p.
Ce n’est pas un livre sur les usages de la musique dans la guerre; ce n’est pas non plus un livre sur la représentation musicale de la guerre: car on sait déjà qu’à l’époque moderne on guerroyait en musique et on représentait des combats sur les scènes musicales. L’ouvrage de Kate Van Orden aborde un tout autre objet, celui de la musicalité de l’art de la guerre qui oblige à considérer ce dernier comme une pratique proprement musicale. Il repose d’abord sur le postulat suivant: «it is not just that music operated politically, but that music was taken to be so powerful in an age dominated by the most brutal forms of political struggle» (p. 5). C’est à partir de ce point de vue (celui de l’«effectiveness of music» sur laquelle elle revient p. 283) que l’auteur pose un regard et construit une méthode pour comprendre aussi bien la musique française que la vie politique dans cette période de fer qui va des années 1560 à la décennie 1630. Le regard: Kate Van Orden propose de reconsidérer un des nombreux paradoxes de l’histoire musicale et politique française. En effet, alors que, comme paraît en témoigner la baisse de la production imprimée (mais il faudrait interroger la validité de ce critère), on semble faire moins de musique dans la France de la seconde moitié du XVIe siècle que dans celle de François Ier, c’est pourtant au cours de ces années que se construisent les grands genres musicaux de la cour (air et ballet de cour) et que s’affirme la nécessité de la musique dans le soutien de l’État. L’auteur suggère ici un lien entre le trouble politique et la création musicale. La méthode: croisant des sources nombreuses et variées, Kate Van Orden ne s’interdit aucun document et considère avec le même intérêt un traité de théorie politique, un traité d’art militaire et la partition d’un ballet de cour. Il va sans dire que c’est ainsi rendre à la musique la place qu’elle occupait effectivement pour les hommes de la première modernité. Rappelant le rôle du monopole de la force dans l'avènement de l'État moderne, le livre de Kate Van Orden analyse donc la place de la musique dans la construction de l’absolutisme français et démontre que, loin d’avoir été adventice, la musique s’est révélée déterminante dans l’élaboration du noble français compris comme un guerrier au service de son roi. Se plaçant sous les auspices du procès de civilisation éliasien, l’auteur veut montrer comment les hommes de la première modernité parviennent à concilier le développement des manières et de la civilité avec une violence toujours plus exacerbée. Mais – et c’est là un des acquis les plus intéressants du livre –, Kate Van Orden explique que les pratiques curiales pleines de raffinement et de sophistication n’ont pas toujours pour fonction de contrôler et de contenir la violence. Ainsi son étude de la gaillarde (chapitre 3) est une contribution à la redéfinition du paradigme d’Elias car elle montre que la danse n’est pas en conflit avec la pratique militaire et que, particulièrement, le danseur de gaillarde a l’occasion de montrer sa force, voire son agressivité, tout comme il est susceptible dans sa chorégraphie d’exposer ses qualités proprement guerrières: la pratique musicale ne vise ici ni à détourner la noblesse de ses traditions belliqueuses ni à dresser le guerrier en homme de cour. Au contraire: la musique, via la danse, autorise les pratiques guerrières, les expose même. L’étude de la place de la musique dans l’éducation nobiliaire montre que la pratique musicale n’a pas seulement servi au courtisan soucieux de s’occuper honnêtement et de plaire à son prince: la musique appartient pleinement à la culture noble pas seulement parce qu’elle est un signe d’élection et de singularité, mais aussi parce qu’elle est comprise par les hommes des XVIe-XVIIe siècles comme un véritable exercice guerrier. En témoigne l’analyse très précise, dans le chapitre 2, du programme de l’académie de Pluvinel ouverte aux jeunes nobles à partir de 1594 et véritable modèle pour l’éducation de la noblesse jusqu’au milieu du XVIIe siècle: la musique, parce qu’elle exerce autant le corps que l’esprit, parce qu’elle permet d’accéder au monde sensible du son et qu’elle renvoie également à la matérialité de ce qui la produit, se trouve donc au cœur des apprentissages de celui qui doit concentrer toutes les vertus, le noble (p. 53). Montrant comment la musique est bien considérée alors comme la mesure de toute chose, Kate Van Orden souligne que la discipline musicale, en raison de ses accointances avec le nombre et la proportion, permet de rendre compte à la fois du corps humain (celui qui danse, monte à cheval et manie l’épée) et du corps politique. Son analyse de la République de Bodin (p. 67-80) autorise des développements passionnants sur l’usage de la théorie musicale dans l’écriture politique de l’Europe moderne: elle montre que Bodin ne se contente pas seulement de se servir de la musique comme d’une métaphore pour décrire les régimes politiques, mais qu’il se sert des nombres et de l’harmonie pour justifier la distribution du pouvoir. Le théoricien de l’indivisibilité de la souveraineté a besoin de la musique parce que, à la différence de l’histoire, elle lui offre des moyens fiables et pérennes pour fonder l’État. Les chapitres 3, 4 et 5 sont certainement les plus importants du livre: ils s’intéressent en effet aux pratiques musicales, corporelles et politiques que Kate Van Orden considère comme le triptyque fondateur de la monarchie française. Du foisonnement d’idées et d’analyses offert par ce livre, on ne retiendra ici que trois contributions majeures susceptibles d’appeler des développements dans les années à venir. D’abord une nouvelle façon de considérer le ballet de cour: Kate Van Orden veut «establish the involvement of some of the foremost military commanders of the day in the planning and performance of ballets and to analyze the ballets’ treatments of armed violence. In the ballets at court we can observe the continuities between the monarchy’s desire to monopolize armed force and the internal social machinery by which this goal was pursued» (p. 83). L’étude du ballet La délivrance de Renault dansé par le roi lui-même en 1617 (p. 111-123) montre sur la scène la consolidation – sinon avérée du moins voulue – de la force armée entre les mains du roi et expose les nouveaux rapports entre le roi et sa noblesse. Après cette démonstration, le lecteur comprend mieux l’importance de la définition du ballet proposée par Kate Van Orden: «Ballet was not a royal pastime pursued for aesthetic pleasure, but a war machine in its own right» (p. 107). En effet, danser en musique est bien une autre façon de faire la guerre. On retiendra aussi de cette lecture la nouvelle grille interprétative proposée par Kate Van Orden pour comprendre l’art de la guerre et le renversement radical de perspective qu’elle suggère: le ballet de cour, au XVIIe siècle, ne représente pas seulement une image des combats mais il est aussi un modèle pour la conduite de la guerre et influence directement les pratiques belliqueuses. L’hypothèse est audacieuse: «Revived in the sixteenth century, the idea of dancing into battle placed music at the center of projects to order not just individual bodies, but whole battalions. The musical technology at work in dance could be applied to ever greater numbers» (p. 189). Mais l’analyse très précise des traités d’art militaire de Wallhausen et de Montgommery (p. 196-212) confirme le rôle ordonnateur de la musique dans les déplacements de l’infanterie: si l’art militaire est musical ce n’est pas parce qu’il se sert de la musique comme d’un accompagnement, mais parce qu’il tire sa source de la musique. Enfin, c’est à la question des cérémonies que s’intéresse Kate Van Orden. Voilà encore un sujet déjà bien travaillé par l’historiographie mais une fois de plus, Kate Van Orden bouleverse les habitudes de travail des historiens et des musicologues. En effet, contre une histoire qui a souvent voulu comprendre les cérémonies royales à la fois comme le creuset du gallicanisme et comme le témoignage de la prééminence de l’État sur la religion, l’auteur «show how the liturgical music of Catholic church was foundational to royal ceremonial» (p. 129). Le projet est parfois discutable (en particulier lorsque Kate Van Orden distingue de façon un peu abrupte les modalités populaires et nobles de concevoir les guerres de religion p. 127-129 ou encore lorsqu’elle minimise le tournant de l’Édit de Nantes et quand elle se méprend sur sa définition p. 182… Mais il faudrait un autre livre pour aborder ces questions !), mais l’étude des Te Deum, depuis Henri III jusqu’à Louis XIII, montre bien le syncrétisme à l’œuvre entre une musique sacrée dont la polyphonie devient de plus en plus sophistiquée et un cérémonial politique qui se présente, surtout sous Henri IV, comme la réitération du sacre et du couronnement. Le dernier chapitre («Dresser l’homme: The Ballet à cheval») ne doit pas être compris comme une conclusion, mais comme l’aboutissement du travail accompli qui permet de souligner l’exemplarité du ballet à cheval: «because horsemanship quite literally defined knighthood for the French (cheval, chevalier), horse ballet registered the whole matrix of classicism, heroism, honor, chivalry, and military capability it purveyed at the highest social level, one populated by the grands whose traditional role had been to ride into battle in defense of the kingdom» (p. 238-239). L’auteur rappelle que la musique fait partie de l’apprentissage du cavalier car elle lui permet de communiquer plus facilement avec sa bête et elle est le garant de la discipline du cheval comme de son maître. Dans le Ballet de 1612, la musique rend harmonieuse la participation des chevaliers et guerriers à la vie de la cour: le procès de civilisation est en bonne voie d’achèvement. Cependant, la construction musicale du ballet vient aussi souligner la distinction sociale à l’intérieur de l’armée: la musique, une fois de plus, contribue autant à la justification qu’à l’explicitation des instruments de l’absolutisme français. |
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